BRIMBORIONS DE MARS Signes, intersignes, coïncidences, ou pas

Une dame au distributeur automatique. Elle râle : « Ça marche pas ! » Je l’aide. Dans sa main, coincé dans son étui, la carte d’un certain Jeff, voyant.

Plage de Portez. Tout au fond, sortant de la rade, un sous-marin. Je ressens une incompréhensible tristesse.

Rencontré le souffleur de verre de l’UBO (Université de Bretagne Occidentale). Son métier : réparer/fabriquer tout ce qui est en verre pour les étudiants chimistes. Il montre le verre dans une sorte de lunette ronde, et des halos bleus et mauves : « Il faut enlever toutes les tensions du verre. »

Quand il lui reste des bouts et du temps, il fabrique un petit bestiaire à sa façon : teckels, dauphins, et une chenille pleine d’un liquide mauve.

A la poste, une vieille dame assise au milieu du bureau râle : « Et elle est là madame Machin ? » « Oui madame, dans son bureau. » « Et elle vient quand ? » « Quand elle aura le temps madame. » « Parce que j’ai pas que ça à foutre moi. » « Oui madame. » « De toutes façons, si il faut je rentre à pieds, j’ai mes santiags dans mon sac à main. »

A la poissonnerie, une dame : « Ils sont frais, vous êtes sûrs ? » Le poissonnier : « Ah oui, ils ont été pêchés cette nuit, et s’ils sont raides comme des bouts de bois c’est à cause de ce phénomène, là... » A la poissonnière : « Comment tu dis déjà ? » Elle, glaciale : « Rigor Mortis. »

Je croise le fils d’Olivier. Il va chez sa grand-mère, qui lui donne des cours de cuisine. Il ouvre son cahier pour me montrer comme un conspirateur LA recette. C’est marqué : « Le secret d’une pâte réussie »

Je laisse passer un monsieur à la caisse du supermarché : il a l’air fatigué, et porte un pantalon taché de peinture. « Oh merci, aujourd’hui, c’est ma journée d’épuisement total. »

Dans les locaux des FMO avec Olivier. On attend notre rendez-vous : sur la table, le livre que je suis en train de lire, Le maître et Marguerite de Mikhaïl Boulgakov.

A l’EHPAD, un vieux monsieur : « Ma femme est partie bien avant moi. Pourtant, avec ce que j’ai fait dans ma vie, ça aurait dû être l’inverse. »

« J’étais en bas, elle est montée fermer les volets. Je l’entends, puis je ne l’entends plus. Je lui demande si elle a un problème avec les volets. Elle ne répond pas. Je monte. Elle était là, allongée. Et moi toujours vivant. »

Chez JCC avec Olivier Supiot. Il avait oublié qu’on venait. Il est allongé dans le salon, sans lumières, les pieds posés sur un pouf. « Je reviens de l’hôpital, j’y retourne dans une heure. C’est très angoissant. »

Aux murs du salon, il y a un grand portrait de sa femme, et tout autour de la cheminée, des céramiques qui figurent les lames du tarot de Marseille.

Je lui demande pourquoi les tarots, il me dit : « C’était une maison de jeu ici, avant, et je me suis dit que ça permettrait de s’en souvenir. »

Quand on part, il reste seul, dans ce grand salon froid et crépusculaire.

Je lis une bio de Jacques Tati. Quelqu’un l’a lue avant moi, et a recopié au crayon à papier la dernière ligne de la page précédente en haut de la suivante. Je ne comprends pas pourquoi.

Quelqu’un a piraté mon compte facebook et mon adresse mail, se faisant passer pour une certaine Sandra Gouëfflec. Je passe la soirée et une partie du matin à régler le problème. Entre-temps, la tempête Chiara secoue la maison.

Au matin, problème réglé. Je vois deux rouge-gorges magnifiques qui se posent sur l’arbre du jardin. J’ai l’impression que tous les mots de passe de la vie ont été réinitialisés.

On reçoit une proposition pour le Festival Invisible, d’un artiste qui s’appelle Rouge Gorge.

Pol semble très préoccupé par cette histoire de pirate. « Je suis sûr que j’ai vu cette Sandra Gouëfflec samedi au Vauban ! »

Pablo Neruda, Chant général : « le petit village-luciole qui brûle sur les lampes crustacées »

Pablo Neruda, Chant général : « Abeille plus pure qu’un rêve »

Pablo Neruda, Chant général : « Sans autres dieux que le cuir des phoques pourris »

Vacances. Depuis trois jours, un bruit de scie et de sirène mêlés se met à hululer dès 8h30 le matin.

Non seulement il est fort et résonne dans tout le quartier, mais il est effrayant : on dirait qu’on égorge un lamantin avec une roulette à dentiste.

Cerise sur le gâteau : il est intermittent, comme ça on peut se rendormir et être réveillé plusieurs fois.

Brimborions en retard : je suis arrivé à Montparnasse à l’aube, j’ai dormi deux ou trois heures, il est 9h du matin et j’ai l’impression d’être drogué.

Dans la rue, j’entends une lampe à souder qui grésille très fort derrière un mur, comme un énorme insecte, invisible.

Je passe devant le vieux campeur, un jeune homme salue un monsieur plus âgé. Le jeune homme : « Bonjour monsieur », le monsieur : « ah, bonjour stagiaire. »

Je suis dans le quartier de la Sorbonne, il y a un plot de sécurité orange sur la tête de la statue d’Ernest Renan.

Un monsieur la prend en photo, puis il se pousse pour que je fasse pareil, on se sourit poliment.

Dans le train, un couple étrange. Elle a les traits anguleux et lui un air lunaire et des cheveux roux. Ils sont en tenue de campeur. Il y a un drapeau tibétain sur son sac à dos.

Au wagon restaurant, la voix du contrôleur : « Mesdames messieurs, un passager vient de se trouver mal voiture 17. S’il y a un médecin dans le train, peut-il se manifester ? » Assez rapidement, un monsieur très concentré traverse la wagon restaurant vers la voiture 17. Puis un autre.

Voilà maintenant l’homme au drapeau tibétain, qui file à même allure. Bientôt, sur les trois médecins, deux reviennent, l’air grave.

« La folie est une chose sacrée » Conny Planck

En voiture. Il pleut. Soudain, une présence dans l’angle mort, un piéton, juste là. Je freine à mort, je m’arrête. Personne.

Les cloches de l’Eglise Saint-Martin n’arrêtent pas de sonner ces temps-ci. Ça fait un peu fin du monde.

Reçu une longue lettre manuscrite dans ma boîte aux lettres, rédigée d’une écriture très fine et très minutieuse. On me parle du salut de mon âme. C’est un témoin de Jéhovah qui a pris la peine de m’écrire tout ça, et je pense qu’il a fait la même chose pour tous les gens de la rue.

Enfin j’espère.

La petite parle en dormant, je me glisse dans sa chambre à pas de loups, lui remets bien sa couette et la borde. Puis je pars à reculons, marche sur le ballon de pilate couleur bleu nuit, et pars les pieds en l’air, m’écrasant tête la première contre la gazinière en plastique et provoquant un terrifiant bordel.